L’article et les photos sont d’Alain Balthazard
Je vais vous raconter la belle histoire de ma saison de protection des busards gris en 2020 : l’histoire de 4 miraculés sauvés trois fois d’une mort certaine par 3 intervenants différents.
Tout commence le 11 juillet. J’étais avec Lionel et Jean-Claude quand Jésus, mon ami agriculteur me demande par téléphone de venir de toute urgence. Il venait d’éviter de faucher avec sa « moiss’bat » un nid de busards dans un champ de blé, nid que je n’avais même pas détecté, et pour cause…
Nous partons immédiatement en direction du champ où nous trouvons un nid avec deux très jeunes oiseaux d’à peine 3 jours ainsi que deux œufs non éclos…
Nous nous mettons au travail pour leur confectionner une belle cage de protection rapidement, en espérant que la femelle revienne et ne les ait pas abandonnés.
À 14 heures, la machine continue de tourner inlassablement dans le champ, empêchant la femelle de revenir.
À 20 heures, Jésus entreprend de faucher un champ un peu plus loin pour donner une chance à la femelle de revenir voir ses jeunes.
Las, à 21h30, toujours personne en vue. Lionel et moi décidons d’emporter les jeunes et les œufs dans une couveuse jusqu’à la maison, pour pouvoir nourrir les jeunes et garder les œufs au chaud. Nous prenons soin cependant de disposer des œufs factices dans le nid au cas où la femelle reviendrait tôt le lendemain matin.
Lionel se charge de nourrir pendant presque 24 heures les deux petits bouts qui n’étaient pas bien fringants le samedi soir.

Le lendemain matin, toujours aucune trace de la femelle.
Nous commençons à nous dire que tout ce beau monde va finir en centre de soins quand il me vient une idée !
Pourquoi ne pas injecter ces deux jeunes et ces deux œufs dans un autre nid ?

Je sais que ça s’est déjà fait, même si moi-même je n’ai jamais tenté l’expérience.
J’ai un nid qui pourrait convenir : une femelle cendrée, dans le champ juste en face (à quelques dizaines de mètres), dont le seul jeune n’a que 8 ou 9 jours, donc un écart assez réduit avec les autres.
Après concertation avec notre spécialiste, Jean-Luc Bourrioux, nous décidons de tenter l’expérience, étant sûrs qu’ils seraient toujours mieux élevés par des oiseaux que par des humains, si l’expérience fonctionne.
En cette fin d’après-midi du dimanche, la femelle n’ayant toujours pas refait son apparition, nous mettons en place les 2 jeunes et les 2 œufs dans le nid de la femelle cendrée, en compagnie de son jeune déjà quand même assez grand.
Cette femelle en a vu de toutes les couleurs depuis la veille.
En effet, nous avions dû installer sa cage de protection au beau milieu de la moisson, de sa machine bruyante et menaçante. L’agriculteur ayant oublié de me prévenir qu’il faucherait finalement 3 jours plus tôt que prévu.
Mais cette femelle cendrée est exceptionnelle, vous allez vous en rendre compte !
Malgré les menaces, dès le samedi soir, elle était retournée au nid sans problème et nourrissait son jeune.
Seulement le dimanche lors de la dépose des jeunes dans son nid, le champ n’était pas fini de moissonner, sa cage pas encore détourée et je n’avais aucune info sur la suite de la fauche !!!
Tant pis, à 18 heures, tout ce beau monde est dans la cage.

À 18h20, le mâle cendré arrive avec une proie.
La femelle, qu’on avait fait sortir de la cage en y allant pour mettre les rescapés, récupère dans l’instant la proie du mâle, qui, comme intrigué, nous fait 3 ou 4 saint esprit au-dessus de son nid, se demandant sans doute d’où venaient ces nouveaux arrivants.
On ne saura jamais s’il s’en est rendu compte car au bout d’à peine 5 minutes et après quelques hésitations bien légitimes, la femelle descend dans la cage pour y nourrir son jeune et on l’espère, les deux autres qu’elle a récupérés sans vraiment le vouloir.
Nous aurions adoré voir sa réaction et découvrir les intrus !
La première étape est remplie mais rien n’est gagné pour autant, va-t-elle les accepter ou les mettre de côté ?
Nous allons le savoir très vite…
Le lendemain, lundi 13, vers 19 heures je vois la femelle chasser et rapporter la proie directement dans la protection, je me dis que c’est bon signe et je décide d’aller voir.
Toujours au nid, elle s’envole avec quelques cris de mécontentement.
En me penchant au-dessus du grillage, je me rends compte que, non seulement les deux miraculés sont bien portants,. mais qu’en plus il y en a un troisième tout neuf : la femelle cendrée ayant fait éclore le premier des deux œufs !
Je vous laisse imaginer le cri de joie que j’ai poussé à ce moment-là tout en m’éclipsant très vite.

Nous sommes maintenant le 11 août, le mâle cendré issu du nid de base vole depuis plus de 10 jours, et les deux premiers rescapés sont volants !
Mais le plus extraordinaire, c’est que cette femelle exceptionnelle a élevé avec son mâle 4 oiseaux d’une autre espèce (bien que très proches) en ayant fait éclore deux œufs en plus.
Alors qu’elle n’avait qu’un seul jeune, elle s’est retrouvée avec 5 petits à élever et à nourrir, mission dont elle s’est acquittée avec une grande célérité et conscience !

J’ai observé cette famille atypique tout au long de cette aventure et hier je me suis rendu compte que le jeune mâle cendré et que le premier Saint Martin étaient ensemble posés tout près du nid.
Je pense que dorénavant et depuis que son jeune est volant, la femelle cendrée s’occupe en priorité de lui et c’est le mâle qui vient nourrir les jeunes saint martin.
Ce ne sont que des déductions d’observations mais j’essaierai de confirmer dans les prochains jours car les deux derniers ne voleront pas avant encore 4 à 5 jours.
Le mâle cendré descend systématiquement dans la cage comme le ferait la femelle.

Une bien belle histoire au final car grâce à cette femelle et à son fidèle mâle, ces 4 Saint Martin ont été sauvés une troisième fois, c’est pour cette raison que j’estime que ce sont des miraculés !
Ce fut vraiment une saison très positive, si on met de côté la destruction volontaire d’une nichée de cendrés prête à s’envoler mais ce «succès» compense en partie ce fait morbide.
À suivre : mais logiquement tout devrait bien finir pour ces oiseaux.
Reste à savoir comment vont réagir les saint martin lorsque les cendrés vont entreprendre leur migration dans quelques semaines, mais ceci étant inscrit dans les gênes, ça ne devrait pas poser de problèmes.
