Article proposé par Justine Vergès.
Crédit photos : Le lapin jaune / Marie-Aure Cotta / Pascaline Hoffman / Waga Photos
Quand j’étais toute petite, je n’avais pas de métier en tête.
Je voulais juste vivre dans un château et jouer de la harpe !
J’ai toujours aimé dessiner, peindre, et tout ce qui touche à la création de manière plus large. C’est vrai que j’ai rêvé d’être illustratrice grâce à certaines images que je voyais dans les livres et qui m’émerveillaient, mais d’après ce que je comprenais, ce n’était pas un « vrai » métier.
A un moment donné, j’ai pensé à être prof… prof d’histoire peut-être ? Sûrement parce que j’adorais entendre les miens raconter toutes ces aventures sur l’Antiquité, le Moyen Age, la Renaissance, la Guerre aussi avec autant de passion, d’émotion.
En 3e, j’ai fait un stage dans une boite de graphisme, mais je me suis dit que passer mon temps devant un ordinateur à détourer les photos, ça ne m’intéressait vraiment pas du tout !
Plus tard, à 16 ans, j’ai pris mon courage à deux mains (j’étais très timide) et j’ai contacté des illustrateurs dont j’étais fan et je leur ai posé plein de questions sur leur métier. J’ai bien compris que ce n’était pas un métier facile car pas reconnu et souvent mal payé, mais au moins là, je voyais bien que oui, c’était un « vrai » métier. Entre-temps, j’ai passé le BAFA (un diplôme pour être animatrice auprès des jeunes) – ça me plaisait beaucoup de travailler avec les enfants, raconter des histoires, créer, jouer… tiens, tiens, ça me rappelle quelque chose !

Et puis voilà, après avoir obtenu le bac option Arts Plastiques, et 1ère année de fac, avec des cours d’histoire de l’art et option mythologie qui me plaisaient beaucoup, il était temps de faire un choix. Je ne me voyais pas être prof, j’aimais apprendre et transmettre mais mon coeur ne s’accrochait qu’au dessin. Alors je me suis lancée dans l’aventure ; j’avais la chance d’avoir des parents qui me soutenaient. C’était important pour eux que je fasse un travail qui me plaise, et ils voyaient que j’avais la tête dans les étoiles, mais aussi bien vissée sur les épaules – et des bonnes notes.
Alors, aidée d’un prêt, j’ai choisi de faire une école d’arts graphiques et communication visuelle (Axe Sud) pour avoir plusieurs cordes à mon arc.
C’était très intéressant : enfin des cours de techniques de dessins concrets avec des professionnels ! J’ai découvert tout l’univers du graphisme avec l’histoire de la typographie, la mise en page, la symbolique des formes etc. J’ai fait des stages en imprimerie, en agence de graphisme et surtout en maison d’édition (Gautier- Languereau), pour découvrir les étapes de la création d’un livre, dans la vraie vie !
Après 4 ans d’études, je comprends clairement que si je veux bien gagner ma vie, il vaut mieux travailler en agence de graphisme, et ne pas être illustratrice …
Donc je sors de là avec un diplôme de « concepteur designer graphique » avec mention et une micro-entreprise toute fraiche. En gros, je suis graphiste et ça me plait, un comble pour la petite Justine de 3e ! Mais je suis indépendante et aussi illustratrice, tant pis pour le « bien » gagner ma vie, au mieux « vivre » ma vie !
Alors oui, ce n’est pas toujours facile, et c’est mon choix, je me suis accrochée à ce qui vibrait chez moi. J’ai la liberté, la créativité et l’insécurité qui va avec.
Mais le jour où j’ai fait mon premier livre, le jour où j’ai vu mes affiches dans les rues, le jour où j’ai vu mes logos sur des produits de créateur, le jour où j’ai vu un enfant émerveillé devant mon livre, le jour où j’ai fait mon premier atelier en classe, le jour où j’ai reçu ces dessins d’enfants … Tous ces jours sonnent pour moi comme des confettis.
Créer, faire des livres, raconter des histoires, transmettre un message – et pas n’importe lequel – oui finalement, quand on rassemble les petits cailloux, j’ai toujours voulu faire ce/ces métiers.

Pour moi, être illustrateur.trice, ce n’est pas simplement savoir faire de jolis dessins, illustrer, c’est transmettre une idée, un message, une histoire à travers un visuel. C’est faire parler une image. J’aime bien faire le parallèle avec un metteur en scène qui va diriger des comédiens : dans leurs attitudes, leurs placements, leurs costumes, les décors, les lumières etc. Après, pour le son et les effets spéciaux, il y a beaucoup d’astuces en dessin. Il faut aussi penser au cadrage, à la mise en page, aux couleurs … Sauf que l’illustrateur.trice lui-elle a cette immense liberté de pouvoir créer tout un univers pour susciter une émotion, avec simplement une feuille et un crayon !
Mais le métier d’illustrateur.trice ne se résume pas qu’à créer … Il y a aussi tout ce qu’il y a autour et qui est moins funky : l’administratif, la comptabilité, les mails, les réseaux sociaux à gérer. C’est aussi ça être indépendant.
Heureusement, il y a des belles rencontres, beaucoup de place pour découvrir et apprendre de nouvelles choses, car l’illustration n’est pas présente que dans les livres, elle est partout : sur les affiches dans la rue, un tee-shirt, un magazine, une boite de thé, une carte postale, un jeu, et même une jolie carte de visite.

Pourquoi l’écologie est-elle une notion importante pour moi et pourquoi est-elle mise au centre de mon travail ?
Nous sommes une partie d’un tout. Sans cette nature, sans cette Terre, l’Humain n’existerait pas… En fait, ça me paraît tellement logique, parce que ça fait partie de mon histoire, de mon éducation. Ma mère, ancienne infirmière, vient d’une famille de paysans/éleveurs, en Bretagne. Quand j’étais petite, mon grand-père est mort d’un cancer de la gorge, dû très certainement aux pesticides qu’il inhalait en les diffusant dans les champs, sans masque et sans en connaître les conséquences. Ca a beaucoup marqué ma mère. Par la suite, elle s’est intéressée à la médecine alternative et à décidé de changer notre alimentation en passant au bio. A l’époque, c’était encore vu comme « marginal ». On a donc grandi avec l’idée que notre alimentation et notre santé sont étroitement liées, que nous sommes reliés à la nature qui nous offre l’abondance et que notre bien-être participe également à notre bonne santé. J’ai à mon tour fait mes propres expériences, mon propre constat.

A mes débuts, je voulais juste pouvoir vivre de mon métier, ce qui était déjà pas mal. Et au fur et à mesure des années, j’arrive à l’orienter vers ce qui fait le plus sens pour moi, ce que je veux défendre et partager.
Je mets l’écologie en avant car c’est ce qui a le plus de sens pour moi et ce qui me rend le plus fière, en contribuant à l’évolution d’un monde meilleur, plus respectueux de l’environnement et de l’humain.
Aussi l’une des choses que je préfère dans mon métier, c’est d’aller dans les écoles maternelles ou primaires et expliquer mon travail aux enfants, créer ensemble autour de mes livres et de mes valeurs pour sensibiliser les enfants au zéro déchet, aux ressources qui s’épuisent, au changement climatique, à l’égalité, les émerveiller à la beauté de la nature et des animaux. Ils sont très curieux, ont une grande sensibilité, peuvent parfaitement comprendre les enjeux environnementaux et voir qu’eux aussi peuvent être acteurs et créateurs dans ce monde.
Bref, je veux que mon travail artistique aide à communiquer sur tout ça, pour qu’on réfléchisse à notre façon d’agir, de voir le monde et garder espoir en la Vie.

Mes actions, et mes projets en faveur de la réduction de l’empreinte environnementale dans mon travail.
Les actions, je les fais dans mon quotidien, car je ne saurais défendre des valeurs que moi-même je ne respecterais pas.
Sur mon instagram justine.verges au-delà de mon travail, je poste quelques graines de ce que je fais au quotidien : des poèmes, photos ou réflexions par exemple : toilettes sèches, potager, compost, art éphémère, réduction de déchets, voyage à vélo … je sais depuis longtemps que ça ne sert à rien de dire aux autres ce qu’ils « devraient » faire, mais la phrase de Ghandi « Sois le changement que tu veux voir dans le monde » résonne fortement chez moi. Alors je fais ma part comme un petit colibri … Je donne des exemples, c’est rassurant de voir qu’on est pas tout seul … mais je sais qu’il me reste beaucoup à faire !
Aussi l’avantage d’être en freelance, c’est que je travaille chez moi, je n’ai que quelques pas à faire pour être dans mon atelier : une cabane dans mon jardin. Pas besoin d’utiliser les transports.
Pour ce qui est de mes projets pro, vous pouvez découvrir l’album jeunesse « Sila le racommodeur de banquise », un projet personnel, que nous avons porté avec l’auteur Gaëtan Serra, publié chez Dadoclem. Un livre poétique et rimé, qui cherche à éveiller les consciences en douceur sur la nécessité de penser à demain. La mission que l’ours Sila s’est donnée – racommoder la banquise – nous permet d’aborder des thèmes très actuels et importants comme le changement climatique et la protection de l’environnement.

Il y a aussi mon dernier album qui vient de sortir « Dans la forêt lointaine » écrit par Florence Delcloy, amoureuse de sa région. On y découvre les secrets de la forêt du Sud-Ouest rythmé par l’humour, l’entraide et la bienveillance.
On y apprend la biodiversité, les secrets de la forêt et de ses habitants, et notamment pourquoi elle est indispensable à l’Homme.
Je travaille actuellement sur un prochain livre dans la même collection, qui mettra l’accent sur le surf, les déchets rejetés par l’océan, et la protection de ses habitants, mais chut …. c’est encore un secret !
J’ai aussi illustré cette année un joli projet avec la Maison du Vélo à Toulouse, qui promeut l’utilisation du vélo en ville ; économique, bon pour la santé et écologique, se déplacer à bicyclette est la solution idéale des trajets quotidiens en milieu urbain.
Et depuis 3 ans, je réalise également la campagne de communication du festival international du film d’environnement, FreDD.
Pour finir, je mets aussi ma créativité au service d’artisan-créateurs qui partagent ces valeurs dans leur travail.

Les étapes et le temps nécessaires pour créer un livre.
Pour l’album ‘Sila‘, c’était un projet personnel donc nous avons d’abord monté un joli dossier avec Gaëtan pour présenter notre projet puis on l’a envoyé à différentes maisons d’édition. Nous avons eu le plaisir de trouver une éditrice qui était très intéressée. Nous avons d’abord échangé puis signé un contrat. A partir de là Gaëtan a modifié quelques passages du livre et de mon côté j’ai commencé à mettre au propre le chemin de fer (en gros c’est la représentation de toutes les pages du livre avec l’emplacement des textes et des illustrations, ça permet de se représenter le livre dans son ensemble). J’ai donc réalisé tous les croquis du livre qui sont à chaque fois validés par l’éditrice et l’auteur.

Comment j’ai réalisé la couverture ?
Pour « Dans la forêt lointaine », c’était différent : c’est Florence, auteure et éditrice qui m’a contacté, c’était donc une commande. Entre le début et la fin de la réalisation, il y a eu 4 mois, mais je n’ai pas travaillé sur le livre à temps plein car j’avais aussi d’autres commandes en parallèle.
Et une petite surprise réalisée avec mon compagnon pendant le confinement.
Y a t’il des difficultés à concilier écologie et art ?
Parfois, je remets tout en question. De voir certaines incohérences entre le fond et la forme, m’interroge… je m’attarde sur certains détails, mais ce sont eux qui peuvent faire la différence, et je n’ai pas la main sur tout. Pourquoi ne pas imprimer un livre ou des flyers sur papier recyclé, plutôt que de couper encore des arbres ? Pourquoi lors d’un évènement prônant l’écologie, mettre des bouteilles de coca et des produits pleins d’emballages plastiques ?
Je ne critique pas (un peu parfois quand même, je reste un être humain), je constate, et je comprends, chacun avance à son rythme, selon le temps et les moyens financiers qu’il a à investir dans un projet. Je sais que les choses vont avancer, et que chacun va faire ses prises de conscience avec le temps.
Déjà, je suis très heureuse de voir que mes derniers livres ont pu être imprimés à côté et non en Chine ou autre pays bien lointain qui nécessiterait une main d’oeuvre mal-payée et une forte empreinte carbone dans les transports.

L’opportunité d’illustrer la campagne du Festival International du Film d’Environnement.
Ca me permet de mettre toutes mes compétences : graphisme et illustration, au service d’un festival qui peut avoir un réel impact sur les citoyens, au travers de ses films et documentaires, dans la sensibilisation, la diffusion, la réflexion, autour du développement durable. Je suis heureuse de participer à ce festival à travers mes créations, il est porté par une association et des bénévoles très investis. Au delà des films, ce sont aussi des ateliers, des débats, des émissions de radio, des expos… Sans compter que le festival est gratuit et donc rend aussi la culture et la science accessibles à tous!
Ça a donc un réel sens pour moi, par rapport au message qu’il véhicule et dans mon travail artistique, où je peux laisser libre cours à ma créativité. Depuis 3 ans, Antonin, Yves et l’équipe me font confiance, le thème de cette année 2020, c’était l’Urgence et ils me donnent carte blanche. J’y mets une belle diversité et une explosion de couleurs car certaines personnes ont tendance à croire que ça va parler de choses dures et déprimantes alors que beaucoup de ces films sont empreints de poésie et d’espoir comme Douce France, réalisé par Geoffrey Couanon, qui a remporté le Grand prix du festival.
Je raconte une histoire dans mes illustrations, le spectateur peut s’y perdre ou s’y laisser bercer. Il y voit ce qui résonne pour lui·elle, selon sa propre histoire.

Et maintenant, la suite de l’aventure ?
J’ai envie de m’améliorer encore sur mon impact environnemental, de réduire d’avantage mes déchets, d’être plus autonome en légumes et je vais enfin changer de banque pour un établissement plus éthique. Car si pendant ce temps là mes économies servent à financer les projets de multinationales ou autres avec lesquels se ne suis pas en accord et sur lesquels je n’ai aucune emprise, alors ce n’est pas cohérent.
Et pour finir, côté travail, je vous partage mes derniers projets : je réalise en ce moment même un nouvel album de la même collection que « Dans la forêt lointaine » aux éditions Chocolatine, et je me régale sur une note de sel et d’été…
Aussi d’ici peu, sortira le jeu « Surnatur’elles » que j’ai illustré pour Les Chemin buissonniers, un Escape Game de cartes qui met en lumière le parcours de femmes inspirantes : artistes, scientifiques, aventurières ou encore pirates.
Elles se sont libérées des contraintes de leurs temps et de la société en cherchant à réaliser leurs rêves, en luttant pour leurs droits, où en s’affranchissant des stéréotypes qui les enfermaient dans des rôles prédéfinis et limitants !

Bref, des beaux projets qui font sens, avec de belles personnes, sur lesquels je suis très heureuse d’apporter ma patte colorée et mes propositions.
Et toujours pleins d’idées en tête pour 2021. Je vais (déjà !) fêter mes 10 ans d’aventures illustrées, je crois que ça mérite quelque chose de spécial !
Merci de m’avoir lue jusqu’ici.
Et un grand merci à tous ceux·celles qui me soutiennent depuis le début,
à ceux qui me font confiance en collaborant avec moi, à Little Citizens for Climate
et pour tous les merveilleux retours reçus pendant cette période de Covid !
